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Patrick Mouratoglou coach de Serena Williams

Patrick Mouratoglou, fondateur de l’académie éponyme, coach de Serena Williams, mentor de Stefanos Tsitsipás et Coco Gauff. Découvrez son interview exclusive pour Africa Tennis Mag.

Patrick Mouratoglou coach de Serena Williams
Patrick Mouratoglou coach de Serena Williams

« Il faut investir davantage dans le continent africain ».

Patrick Mouratoglou

Coach, vous êtes devenu, en une décennie, une référence dans le tennis français et mondial. Vous avez travaillé avec de nombreux joueurs et joueuses (Baghdatis, Rezaï, Pavlyuchenkova, Chardy, Dimitrov, Serena Williams…) qui ont tous connu de meilleurs résultats avec vous. Comment expliquez-vous ces succès ?

J’ai débuté mon parcours en tant que coach avec très peu de connaissances. Je dirais même que je n’y connaissais rien. Je n’ai en revanche jamais cessé d’apprendre et de vouloir m’améliorer. Je crois qu’une de mes plus grosses qualités est mon ouverture d’esprit. J’ai également pu développer une grande capacité à observer, à écouter et à analyser. Je suis un passionné et je ne vise qu’une chose : le résultat.

Échouer avec un de mes joueurs n’a jamais été une option envisagée et j’ai toujours été concentré à 100 % pour atteindre la réussite.

Selon moi, le succès d’un entraîneur dépend en grande partie de sa capacité à comprendre les besoins de son joueur et de s’y adapter. Chaque joueur est différent et fonctionne d’une façon différente. Il faut le traiter comme une Formule 1 pour pouvoir le guider vers sa propre excellence. Mais il n’y a pas de recette universelle du succès.

Le risque dans ce métier quand on a du succès avec un joueur, c’est qu’on cherche à le reproduire, en appliquant la même méthode. Coacher, c’est justement tout l’inverse. Cela consiste à aller à la découverte de l’autre, comprendre ses problématiques afin de les résoudre. Cette philosophie m’a guidé tout au long de ma carrière et m’a permis d’être performant.

C’est pourquoi j’ai décidé de la modéliser pour en faire une méthodologie avec de nombreux fondamentaux que je transmets aujourd’hui à d’autres coachs.

Vous avez fait construire sur la Côte d’Azur, à Sophia Antipolis, la Mouratoglou Tennis Academy, une des plus belles académies de tennis au monde. Que pouvez-vous nous dire sur cette belle réalisation ?

La Mouratoglou Tennis Academy, c’est le travail d’une vie. C’est la réalisation d’une vision et d’un rêve qui m’habitent depuis longtemps.

Tout est parti de mon projet de devenir joueur professionnel étant gamin, mais mes parents ne m’ont pas suivi. J’en ai beaucoup souffert, car le rêve de ma vie s’est alors envolé. Dix ans après, en 1996, je décide de donner à d’autres jeunes la chance que moi je n’avais pas eue.

C’est ainsi que j’ai créé mon Académie avec une idée, un rêve, et beaucoup d’enthousiasme. Les résultats n’ont pas tardé à arriver avec plusieurs vainqueurs de Grand Chelem en junior : Marcos Baghdatis et Gilles Muller, qui devinrent tous les deux champion du monde junior, Mario Ancic et Paul-Henri Mathieu.

En 2015, j’ai choisi de délocaliser la Mouratoglou Academy sur la Côte d’Azur (elle était avant cela en banlieue parisienne, Ndlr), au coeur d’un parc exceptionnel de plus de 12 hectares. Avec 34 courts de tennis, un centre de fitness, un centre médico- sportif, un internat, une école et un hôtel, l’Académie s’est transformé en véritable resort idéal pour les familles et les amoureux de sport du monde entier.

Nous formons 200 jeunes joueurs en programme tennis-études à l’année qui bénéficient d’une scolarité (française ou américaine), d’entraînements et d’un suivi en tournois de très grande qualité. Ils sont hébergés sur place, en pension complète dans notre campus.

Nous proposons également plus de 4 000 semaines de stages tout au long de l’année pour tous les âges et tous les niveaux. Les derniers académiciens que nous avons formés sont Coco Gauff et Stefanos Tsitsipas.

La première est l’un des plus grands espoirs du tennis mondial et bat tous les records de précocité. Le second est 6e mondial à seulement 22 ans et compte déjà des victoires sur Djokovic en Masters 1000, Nadal sur terre battue, et Federer, ce qui lui a permis d’atteindre sa première demi-finale en Grand Chelem.

Nous avons également la chance que les meilleurs joueurs du monde choisissent chaque année la Mouratoglou Tennis Academy pour parfaire leur préparation entre les tournois.

Quel est désormais votre rêve ultime ?

J’ai une chance incroyable d’avoir pu réaliser beaucoup de mes rêves. Malgré tout, ma passion est restée intacte. Mon rêve est toujours d’aider les joueurs soit à travers mon Académie, soit à travers ma Fondation. Je prends un plaisir exceptionnel à voir les jeunes joueurs évoluer, grandir et se réaliser. Et puis les années passent, mon âge avance, et désormais je veux encore plus donner.

Je sais que je suis chanceux et je tiens à transmettre. Je souhaite aider l’Afrique à se structurer, à s’organiser pour offrir la chance à des milliers d’Africains d’accéder au tennis. Permettre à ce continent extraordinaire de s’illustrer dans notre sport au travers de tous ses jeunes talents serait un rêve pour moi.

« Je souhaite aider l’Afrique à se structurer, à s’organiser pour offrir la chance à des milliers d’Africains d’accéder au tennis. »

Patrick Mouratoglou
Clervie Ngounoue Mouratoglou Academy
Clervie Ngounoue et sa belle volée de revers.

L’académie que vous dirigez accueille justement de plus en plus de jeunes Africains qui rêvent de rentrer dans le Top 100 ATP ou WTA sinon mieux. Qui sont-ils et quelles sont leurs chances ?

Depuis quelques années, l’Académie accueille effectivement de plus en plus de joueurs africains. Chez les plus jeunes, nous aidons et formons depuis quelques années Clervie Ngounoue. Clervie a la nationalité américaine, mais elle est la fille de deux Camerounais.

Elle vit avec ses parents et son petit frère au resort. Elle est l’une des plus grandes espoirs américains et fait partie des toutes meilleures joueuses au monde nées en 2006. Cette année, elle a atteint la finale du tournoi de renom Les Petits As (Championnat du monde indoor des moins de 14 ans) et a remporté l’Orange Bowl en 2018.

Nous entraînons également l’espoir venant de la Côte d’Ivoire, Eliakim Coulibaly. Il fait partie des 20 meilleurs joueurs du monde de moins de 18 ans. Il possède de grandes qualités athlétiques et un jeu puissant de gaucher. Eliakim est un très bon joueur qui a le potentiel pour atteindre le Top 100 mondial.

Nous avons aussi accueilli Sada Nahimana, du Burundi. À 19 ans, Sada a une superbe technique et bouge très vite sur le terrain. Elle est actuellement classée au 500e rang WTA, mais je crois que, tout comme Eliakim, elle peut rapidement monter au classement et se faire une place dans les cent meilleures.

Sada Nahimina Mouratoglou academy
Sada Nahimina ne quitte pas la balle des yeux.

Comment expliquez-vous l’absence de joueurs africains noirs dans l’élite mondiale ?

Je crois que tous les jeunes joueurs de tennis ont les capacités pour atteindre l’élite mondiale.

Ce n’est pas quelque chose qui devrait être réservé à une minorité. Les joueurs européens, par exemple, ne sont pas plus talentueux ou travailleurs que les joueurs africains, mais ils ont un énorme avantage en termes de ressources.

Pour leur donner une chance d’atteindre le plus haut niveau, il faut leur fournir les infrastructures, les entraîneurs et la structure d’entraînement pour y arriver. Il faut investir davantage dans le continent africain, mettre des programmes en place, faire en sorte que le tennis soit plus accessible.

Le potentiel athlétique des joueurs africains noirs n’est plus à démontrer. Je crois que d’ici à quelques générations, il y aura de grands changements et nous verrons de plus en plus de joueurs africains parmi les meilleurs joueurs de tennis au monde.

Que faudrait–il faire pour aider au développement du tennis en en Afrique ?

Je pense qu’il manque 4 éléments majeurs à l’Afrique pour que le tennis puisse s’y développer :

– Les infrastructures et les ressources sont bien inférieures par rapport aux autres continents. Pour pouvoir jouer au tennis, il faut un court, il faut des raquettes et des balles. Je suis convaincu que rares sont ceux qui en disposent en Afrique.

– La connaissance du haut niveau : pour préparer les jeunes à réussir, la formation est une clé. L’Afrique manque d’entraîneurs et ceux-ci devraient pouvoir bénéficier d’une formation plus complète permettant de fournir aux enfants les bases du haut niveau.

– La structure : En formant un vivier de jeunes joueurs et en organisant des compétitions, on peut alors identifier les meilleurs potentiels et les aider dans leur développement. Les meilleurs d’entre eux pourront ensuite intégrer une académie ou un programme d’entraînement subventionné qui leur permette d’accéder à un niveau de prestations encore supérieur et de se mesurer aux meilleurs joueurs.

– Des champions et championnes : c’est là que tout démarre : pour qu’un continent créé beaucoup de champions, il faut des modèles, des exemples à suivre. Il faut que l’un trace la route et montre aux autres que c’est possible.

Si nous sommes capables de mettre tout cela en place, les résultats peuvent être incroyables.

Auriez-vous des projets sur le continent ?

Je serais ravi de participer et d’aider le continent africain. J’ai beaucoup de tendresse pour l’Afrique que je connais à travers ma femme qui est nigériane, mais aussi mon ami de toujours, Kerei Abakar, qui est directeur de mon Académie et originaire du Cameroun.

Je suis ouvert, et j’ai commencé à aider des joueurs africains talentueux. Tout est à faire et le potentiel est extraordinaire.

Je veux faire un état des lieux et voir où et comment je peux contribuer à aider le continent à se structurer. Je n’ai pas encore de projets précis, mais en revanche, je me tiens prêt à mettre en œuvre une stratégie globale sur l’ensemble du continent.

Le tennis mondial évolue à grande vitesse, mais les meilleurs mondiaux restent quasiment indéboulonnables. Une explication ?

Nous vivons une époque unique dans l’histoire de notre sport puisque, depuis plus d’une décennie, le tennis mondial est dominé par trois joueurs qui sont considérés comme les plus grands de tous les temps, Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic.

Alors oui, ils sont indéboulonnables, mais c’est justement parce qu’ils sont les meilleurs. Mais il y a aussi plusieurs jeunes talents très prometteurs qui frappent à la porte et qui finiront par trouver leur place : Stefanos Tsitsipas, Dominic Thiem, Alexander Zverev, Daniil Medvedev, Denis Shapovalos, Félix Auger-Aliassime, etc.

Je crois que cette nouvelle vague jouera les premiers rôles dans les prochaines années. Ils commencent à régulièrement franchir la deuxième semaine en Grand Chelem et à battre les joueurs plus expérimentés, notamment Stefanos qui a remporté le Masters (Nitto ATP Finals) fin 2019 et Dominic Thiem qui a remporté l’US Open cette année.

Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté vos activités et comment voyez-vous le tennis après la crise sanitaire ?

La pandémie a affecté toute l’économie et encore plus certains secteurs d’activité comme le sport, l’éducation et le tourisme. Nous sommes au carrefour de ces trois secteurs et nous avons donc souffert sur plan économique lors du premier semestre 2020.

Aujourd’hui, notre tennis-études et notre section haut niveau sont restés ouverts, car le gouvernement considère que l’éducation est essentielle. Nous espérons que ces mesures vont rester en vigueur en 2021. Le tennis mondial a été à l’arrêt complet et aujourd’hui les tournois essaient tant bien que mal de survivre malgré l’absence de billetterie, et des droits TV et du sponsoring en chute libre.

Le prize-money des joueurs a été revu à la baisse pour espérer équilibrer les comptes. Pour les meilleurs joueurs du monde, ça n’est pas un véritable problème, en revanche pour ceux classés au-delà de 50e mondial, la situation est préoccupante.

Lorsque les circuits professionnels étaient en pause cet été, vous avez mis sur pied une nouvelle ligue de tennis, l’Ultimate Tennis Showdown (UTS). Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce nouveau projet ?

Devant les défis, je tente toujours d’identifier une opportunité et de la saisir. Durant la pandémie, le circuit professionnel était en pause, les joueurs avaient envie de jouer et les fans étaient pressés de retrouver le sport en direct. En parallèle, l’âge moyen des amateurs de tennis est en hausse (au-dessus de 60 ans !) et le tennis en tant que sport n’a pas su s’adapter aux nouvelles générations.

Comment avez-vous profité de cette occasion pour créer quelque chose de nouveau, de différent ?

Tout s’est fait très rapidement : en quelques semaines, nous avons monté un évènement très professionnel avec plusieurs joueurs du Top 10 mondial au rendez-vous, tels que Dominic Thiem, Stefanos Tsitsipas, Alexander Zverev et Matteo Berrettini, pour n’en nommer que quelques-uns.

Félix Auger-Aliassime, le joueur canadien d’origine togolaise, était aussi présent.

L’objectif était d’expérimenter sur un nouveau format et d’aller chercher une clientèle plus jeune et plus large. Avec des matchs plus courts et plus rapides (quart-temps de 10 minutes), plus de liberté au niveau du code de conduite, ainsi que l’introduction de la « mort subite » en guise de manche décisive.

Ce format met davantage l’emphase sur l’émotion et le suspense. On peut dire que qu’UTS est à mi-chemin entre compétition et divertissement, dans un univers inspiré par l’e-sport. Ce fut un franc succès.

Les joueurs et les fans en ont voulu plus, donc nous avons poursuivi avec une deuxième et une troisième édition… C’est certainement le début d’une nouvelle aventure et d’une nouvelle façon de jouer et de consommer le tennis.

Vous êtes le coach de Serena Williams, une des plus grandes joueuses de tennis au monde et une des personnalités les plus appréciés en Afrique. Comment l’aventure a-t-elle commencé ? A-t-elle des projets de soutien à la jeunesse et au tennis en Afrique ?

Ma collaboration avec Serena a débuté en 2012. Elle était âgée de 30 ans et se trouvait dans une phase critique de sa carrière. Elle n’avait pas remporté de Grand Chelem depuis 2 ans et venait de s’incliner au premier tour de Roland-Garros. Elle m’a appelé pour me demander si elle pouvait s’entraîner dans mon académie (basée à l’époque près de Paris) afin de se préparer pour Wimbledon. J’ai accepté, bien sûr.

Serena souhaitait jouer avec deux partenaires de frappe et j’ai tout organisé. Je restais même sur le court, à observer et prêt à répondre à ses besoins. Après un petit moment, elle m’a demandé mes conseils et ce que je pensais de son jeu. Je lui ai donné mon opinion et nous avons commencé à travailler sur certains aspects de son jeu.

Elle m’a ensuite demandé de l’accompagner à Wimbledon. Deux semaines plus tard, elle soulevait le trophée, le premier que nous allions remporter ensemble. Nous n’avons jamais arrêté de collaborer depuis ce temps. Serena a évidemment le souhait d’aider la jeunesse africaine.

Sa fondation appelée Serena Williams Fund finance et construit des écoles au Kenya après l’avoir déjà fait en Ouganda, au Zimbabwe ou encore en Jamaïque.

Serena Williams Patrick Mouratoglou academy
Serena Williams au coup droit, ça déménage !

En dehors de Serena, de grands joueurs et joueuses du Top mondial sont des pensionnaires de votre académie. Seriez-vous partant pour des opérations conjointes avec Africa Tennis Mag en Afrique subsaharienne ?

En devenant coach de tennis et en ouvrant mon académie de tennis, mon objectif était d’aider les jeunes joueurs de tennis à réaliser leurs rêves.

Je crois que tout le monde devrait avoir une opportunité d’atteindre son plein potentiel et de faire ce qui le passionne. Je serais naturellement ravi de pouvoir aider davantage de jeunes à réaliser leur rêve, cette fois en Afrique subsaharienne.

Il faut trouver des fonds et monter une organisation efficace tout en étant capable de faire du sur-mesure pour les meilleurs potentiels africains.

Depuis quelques années, vous vous investissez sur des projets en partenariat avec l’organisation Tennis4SOS. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces projets ?

Depuis maintenant trois ans, nous accueillons deux jeunes de Tennis- 4SOS, une petite académie de tennis au Botswana en stage à la Mouratoglou Academy, en collaboration avec l’ONG SOS Children’s Villages (SOS Villages d’enfants).

Cette organisation a comme mission de rendre le tennis plus accessible auprès des jeunes défavorisés. L’ONG construit des murs pour pratiquer le tennis dans les villages plus défavorisés, organise des tournois de charité et solidifie les liens entre des associations et clubs de tennis à travers le monde.

Ce partenariat avec la Mouratoglou Academy a comme objectif de donner la chance à ces jeunes joueurs de vivre une expérience unique et de bénéficier de notre méthodologie d’entraînement. C’est une action qui me tient particulièrement à coeur et que nous comptons poursuivre dans les années à venir.

Que pensez-vous du projet Africa Tennis Mag ?

C’est fabuleux. C’est tellement important de bénéficier d’un support qui raconte ce qui se passe dans le tennis en Afrique.

Africa Tennis Mag est un maillon indispensable dans le développement du tennis sur ce continent.

Pour finir, auriez-vous des recommandations à faire à la jeunesse africaine qui rêve de réussir au tennis ?

Je leur dirais de croire en eux-mêmes et en leurs rêves. Comme le dit Serena, il faut être son « meilleur supporteur ». Réussir au tennis est un travail de longue haleine. Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.

Contrairement au football, les joueurs ne sont pas intégralement pris en charge et encadrés, à moins de faire partie d’une académie de haut niveau ce qui est le cas de peu de joueurs. Il est donc nécessaire de se créer une équipe autour de soi, et de faire preuve de rigueur et de discipline.

Beaucoup pensent que les champions sont les plus talentueux, ce qui est faux. Les champions sont les plus déterminés.

Eliakim Coulibaly très appliqué à la volée.

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