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Félix Auger-Aliassime : les jambes, la tête et le cœur

Observé, attendu, depuis l’adolescence et ses premiers exploits sur le circuit Challenger, Félix Auger-Aliassime poursuit son développement. Avec son physique d’athlète et sa tête bien faite, le jeune homme continue à se construire. Pour devenir un grand joueur, mais aussi une bonne personne.

« Ma philosophie, c’est essayer de me concentrer sur le positif. »
Félix Auger-Aliassime

S’il tombait dans les escaliers, il serait presque homme à se dire : « Comme ça, je suis arrivé plus vite en bas ».

Quelle que soit la situation, Félix Auger-Aliassime fait partie de ceux voyant le verre à moitié plein. Et, même s’il était complètement vide, il continuerait à se focaliser sur le bon côté des choses. Du style : « Au moins, j’ai un verre. À moi de le remplir ».

Malgré une saison 2020 sinistrée par la pandémie de COVID-19, le jeune homme de 20 printemps s’estime chanceux.

« L’année a été difficile dans mon domaine, mais ça a été le cas pour tous les autres métiers, toutes les sphères de la société. » rappelle-t-il, lucide, lors d’une visioconférence de presse organisée fin novembre. « Je me sens privilégié d’avoir pu jouer. À un moment, il y avait beaucoup d’incertitudes (sur le fait de pouvoir rejouer en 2020). Le côté positif, c’est d’avoir pu retrouver la compétition ».

De mars à août, tenu éloigné des courts par l’arrêt du circuit, il ne se laisse pas aller à sombrer dans la négativité. Au contraire. Il en profite pour redécouvrir des plaisirs simples.

« Ma philosophie, c’est essayer de me concentrer sur le positif. », explique-t-il au cours d’un point avec la presse pendant cette période.

« Normalement, tout au long de l’année, je ne vois pas beaucoup ma famille. Là, j’ai eu la chance de pouvoir passer beaucoup de temps avec eux, renouer avec les dîners accompagnés de longues discussions, faire des jeux de société, pratiquer le piano avec ma maman… Ça peut sembler très anodin, mais, pour moi, ça fait toute une différence. Refaire ces choses dont j’avais l’habitude pendant mon enfance m’a fait beaucoup de bien. C’est important de passer du temps ensemble ».

Mais passer du bon temps en famille ne signifie pas pour autant se la couler douce. Travailleur acharné, le Canadien ne s’autorise alors aucun relâchement. Contrairement à certains, pour lui, la pause des tournois ATP ne rime pas avec vacances. Au contraire. Il continue à façonner son physique athlétique.

« On se plaint toujours de ne pas avoir assez de semaines, de mois (sans tournois) pour s’entraîner. », détaille-t-il.

« Là, c’était l’occasion de développer ce sur quoi on voulait travailler. Mon préparateur physique avait établi un programme et j’étais en contact quotidien avec toute mon équipe, pour être sûr de rester en forme. Je faisais des exercices dans mon jardin. Je cherche constamment à devenir plus ‘fit’, plus fort ».

Pendant ces longues semaines d’arrêt, confiné à Montréal, il ne dispose pas de court pour travailler ses frappes. Pourtant, il trouve le moyen “de rester connecté au jeu en regardant du tennis en vidéo, en faisant de l’analyse de match” avec ses coachs. Une méthode qui lui offre également l’avantage de se “maintenir actif psychologiquement”, malgré une coupure venue freiner sa progression vers les sommets du classement.

« Je suis sûr qu’il accomplira de grandes choses dans sa carrière, aucun doute là-dessus. »
Roger Federer
Félix Auger-Aliassime avec une belle gestuelle au service.

S’il aime laisser courir ses doigts sur les touches noires et blanches du piano, activité qu’il pratique avec brio depuis ses 7 ans, Félix Auger-Aliassime réussit ses plus beaux récitals raquette en main. Phénomène de précocité, il mène sa carrière sur un tempo prestissimo.

À 14 ans, au Challenger de Granby, non loin de son Montréal natal, il passe deux tours et devient le plus jeune joueur de l’histoire à gagner un match dans cette catégorie de tournoi. Un an plus tard, “le petit Mozart” s’illustre sur la scène de Roland-Garros en atteignant la finale du tournoi juniors. En 2018, à Indian Wells, pas encore majeur, il joue sa première partition victorieuse sur le circuit principal.

106e mondial début 2019, il grimpe jusqu’au 19e rang huit mois plus tard, onze jours après son 19e anniversaire. Pour trouver trace d’un prodige plus jeune capable de faire résonner le son de ses frappes au sein du top 20, il faut remonter jusqu’à Rafael Nadal en avril 2005.

Une ascension-éclair qui impressionne les plus grands virtuoses de la raquette.

« La façon dont il a progressé au cours des six derniers mois a été incroyable. », déclare Roger Federer lors d’une interview accordée au média canadien TSN à l’aube de Roland-Garros 2019. « Je n’ai pas été surpris, parce qu’il est venu s’entraîner avec moi à Dubaï. J’ai été impressionné par son éthique de travail, et, déjà, sa force mentale… Il a un gros Q.I. tennis et n’est probablement jamais satisfait. Il a toujours soif d’apprendre. Il a une super mentalité. Je suis sûr qu’il accomplira de grandes choses dans sa carrière, aucun doute là-dessus ».

Une quinzaine sous le soleil émirati en compagnie du “Maestro” suisse, ça ne se refuse pas. Ou presque. Soucieuse de préserver son rejeton, la famille Auger-Aliassime agit telle une chrysalide : elle le protège du monde qui l’entoure pour favoriser du mieux possible son éclosion.

C’est le but à ne pas perdre de vue. Quitte même à décliner, dans un premier temps, l’invitation du “monarque” Federer.

« Je suis allé m’entraîner avec lui en décembre 2017. », détaille ‘FAA’ pour le podcast canadien « Sans restriction » sorti en avril 2020.

« Il m’avait appelé l’année précédente, mais, avec ma famille, nous avions refusé. J’avais seulement 16 ans, j’étais en pleine période de développement, mon jeu n’était pas encore mature. Nous pensions que ce n’était pas la meilleure chose pour moi d’aller jouer avec Roger Federer. Nous avons préféré être patient, en se disant que plein d’autres opportunités se présenteraient dans le futur. La saison d’après, il m’a de nouveau invité. Là, nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas refuser (rires) ! ».

Une fois sur place, Félix Auger-Aliassime vit des moments uniques. Encore adolescent, il goûte à la qualité de frappe d’un des palmarès les plus copieux de l’histoire du tennis. Et, en dehors du court, il est marqué par la simplicité de son hôte.

« C’est important pour lui d’aider les gens qui ont contribué à son développement. Il veut que les jeunes profitent de la même chance qu’il a eue. »
Bernard Duchesneau, son agent.

« Nous nous sommes entraînés deux semaines, et malheureusement, à la fin, je me suis blessé. » relate le Montréalais.

À cette époque-là, aucun physio ne voyageait avec moi. Roger avait le sien. Il m’a donc invité chez lui pour que je puisse être traité, massé, etc. J’ai eu un accès privilégié à la maison de Roger Federer. Il est très humain, très relax. C’est vraiment la vérité. Je ne dis pas ça pour faire beau dans les journaux. La façon dont il parlait à ma sœur ou à mon père ; il restait simple ».

La vraie grandeur d’un homme, c’est peut-être de réussir à toucher les étoiles tout en gardant les pieds sur terre. Et Félix Auger-Aliassime semble fait du même bois. S’il est encore loin de s’ériger en monument digne de son illustre aîné, il n’est pas homme à se prendre pour un autre.

À son âge, chamboulés par le faste d’un sport où les meilleurs comptent leurs gains en millions, certains auraient pu voir leurs têtes gonfler jusqu’à en décoller du sol. Pas lui. Non.

« Ça ne m’a pas donné envie de m’acheter une grosse voiture et de faire des dépenses inappropriées. », confie-t-il au Journal de Montréal fin 2019.

« Mes habitudes ne changent pas. Je veux seulement bien vivre et me concentrer sur ma carrière, sur ce que j’ai à faire. Parfois, je m’achète un beau vêtement, mais pour moi, l’argent est surtout synonyme de liberté et confort. Il faut une raison pour dépenser de l’argent, en accord avec tes propres valeurs. Il ne faut pas dépenser de l’argent juste pour dire que tu en dépenses. Argent ou non, ça ne change rien pour moi. Oui, tu as la liberté de te permettre plus de choses, mais tu demeures la même personne. »

Des paroles qui n’ont rien d’un discours de façade afin de poser un joli filtre sur son image publique. Les actes suivent. Chaque année, en raison d’un accord sur une période de cinq ans amenés à être renouvelée, il offre une partie de ses gains, à hauteur d’une somme tenue secrète, à la Fédération canadienne.

« Nous n’en faisons pas une grande publicité, mais ce que les gens ne savent pas, c’est que Félix redonne sous plusieurs formes au Canada. », dévoile Bernard Duchesneau, son agent, toujours pour Le Journal de Montréal. « C’est important pour lui d’aider les gens qui ont contribué à son développement. Il veut que les jeunes profitent de la même chance qu’il a eue ».

Mais cette envie d’aider ne s’arrête pas aux frontières de son pays de naissance. Depuis le début de saison dernière, il est au cœur du projet #FAAPointsForChange. À chaque point gagné en match officiel, il donne 5 $ pour aider à financer le programme EduChange mis en place par l’ONG Care afin de favoriser l’éducation et la protection des enfants du Togo natal de son père, dans la région de la Kara.

Associé à l’initiative, BNP Paribas complète en ajoutant 15 $ par point. Pendant l’arrêt des compétitions, le Québécois ne se défile pas. Il calque l’argent récolté sur ses résultats 2019.

« Malgré la crise sanitaire, les avancées sont bonnes. », se réjouit-il. « Les activités concernant l’éducation, la formation de coachs [ont repris au mois de novembre]. Depuis le début, j’ai l’intention, l’envie, le désir de me rendre sur place pour voir l’avancement. Étant donné le contexte, c’est difficile d’arrêter une date précise, mais j’espère pouvoir le faire en 2021. C’est important pour moi ».

Une volonté de soutenir son prochain qui prend racine dès l’enfance, à 13 ans, lors de son unique voyage, jusqu’à présent, au Togo.

« Là-bas, j’ai vécu un moment très marquant. », se souvient-il. « Sur la route allant de la capitale (Lomé) au village de mon père situé à 300 km au nord, nous avons fait une pause pour acheter du pain que ma grand-mère adore. Une famille s’est approchée pour nous en vendre et une petite s’est précipitée vers la voiture. Mon père m’a passé l’équivalent de 5 centimes canadiens que j’ai donnés à cette petite fille. J’ai vu la joie dans ses yeux, ce que ça signifiait pour elle ».

Un mélange d’émotions poignantes le bouleverse alors. « J’étais assez ému, et en même temps un peu triste. », poursuit-il. « Nous, 5 centimes, nous faisons à peine l’effort de les ramasser s’ils sont par terre. Elle, ça lui faisait peut-être sa semaine. Ça m’a profondément touché. Je me suis dit que le jour où je pourrais aider, je le ferais ».

Félix Auger-Aliassime en un coup d’oeil :

  • 22 juillet 2015 : premier match gagné sur le circuit Challenger (Granby)
  • 27 juillet 2015 : 749e mondial, à 14 ans
  • 18 juin 2017 : premier titre en Challenger (Lyon)
  • 19 juin 2017 : 231e mondial, à 16 ans
  • 10 mars 2018 : premier match gagné sur le circuit principal (BNP Paribas Open d’Indian Wells)
  • 19 mars 2018 : 182e mondial, à 17 ans
  • 24 février 2019 : première finale sur le circuit principal (Rio de Janeiro)
  • 25 février 2019 : entrée dans le top 100, 60e mondial à 18 ans
  • 9 mars 2019 : première victoire contre un top 10 (BNP Paribas Open d’Indian Wells, contre Tsitsipás, 10e)
  • 29 mars 2019 : première demi-finale en Masters 1000 (Miami)
  • 1er avril 2019 : 33e mondial, à 18 ans
  • 1er juillet 2019 : premier match gagné en Grand Chelem (Wimbledon)
  • 14 octobre 2019 : 17e mondial, à 19 ans
  • 7 septembre 2020 : premier huitième de finale en Grand Chelem (US Open)
  • 1er janvier 2021 : 21e mondial, à 20 ans

Son palmarès :

4 titres en Challenger :

  • Lyon 2017
  • Séville 2017
  • Lyon 2018
  • Tachkent 2018

6 finales sur le circuit principal :

  • Rio de Janeiro 2019
  • Lyon 2019
  • Stuttgart 2019
  • Rotterdam 2020
  • Marseille 2020
  • Cologne 2020

Article réalisé par Mathieu Canac.

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